0505 Presse201508VivreOuMourir320214 "Regarde la lumière, ferme l'œil et observe : ce que tu as vu n'est plus, ce que tu verras ensuite n'est pas encore
– Léonard de Vinci

Mourir remet les choses à leur juste place : il y a l'avant et l'après.

Je me réveille ce vendredi matin avec une sensation bizarre : l'implosion -ou l'onde de choc- dans ma tête a-t-elle eu lieu ou est-ce un rêve (cauchemar pour certains) que je viens de vivre ?
La sensation et le souvenir en tout état de cause sont bien réels.
Les jours qui suivent une série de "non sensation", d'anesthésie de parties de mon corps du côté droit me met en alerte que le rêve pourrait bien être une réalité. Un mot vient immédiatement à mon esprit AVC[1] ou AIT[2] -sans en connaître tous les symptômes, c'est en un instant que ce mot pourtant s'impose-.

De fil en aiguille, visite médecin traitant, urgences, scanner, neurologue, je me retrouve seule à assumer une destination inconnue. A savoir "mais que peut-il bien y avoir sous ce crâne ? "  

Tout en attendant patiemment mon tour à l'hôpital, qui ne durera que quelques minutes -les symptômes décrits à l'infirmière de garde en grève faisant mettre en route immédiatement le système hospitalier Bravo et Merci à vous !- je me sens seule avec tout simplement l'idée que je ne vais pas ressortir de cet endroit -il est vrai que mes séjours y sont plutôt rares et que je n'ai aucune idée de la suite des opérations-. 

Donc, entre deux prises de sang, électrocardiogramme, scanner et autres protocoles cliniques, j'ai le temps de penser et quelques secondes suffisent.

Je me retrouve dans un tourbillon.
A l'intérieur de moi une multitude de questions surgissent et demandent réponse immédiate :

  • Ai-je bien annulé tous mes rendez-vous et interventions professionnelles?
  • Que reste t il dans le frigo ?
  • Comment avertir mes proches sans les inquiéter : le mari au travail et le fils en période d'examen (début de suspicion de non-dits)  
  • Ai je bien fermé toutes les fenêtres de la maison (au cas où il pleuve -c'est fréquent dans la région même en plein mois de juin-)
  • Tous les projets passent en revue les uns après les autres
  • Mon insatiable questionnement sur la vie, la relation aux autres, l'idée d'être parfaite -oui même dans ces conditions là- 

0505 Presse201508VivreOuMourirChoix1352Toutes ces questions viennent à mon esprit en quelques secondes en vrac et sans aucune hiérarchisation. De la plus simple à la plus complexe : elles sont là !
Des interrogations plus sérieuses se posent : 

  • Ai-je des regrets ?
  • Qu'ai-je fait de MA vie ?
  • Qu'ai-je appris ?
  • Qu'ai-je transmis ?
  • Où en suis-je avec mes connaissances, mes apprentissages ?
  • Comment sont les liens que j'ai avec les personnes que j'aime, que j'apprécie, que je respecte ?
  • Que vais-je laisser après ma mort ? Ce n'est pas tant les pleurs des amis ou de la famille qui me chagrinent. Ni le fait de laisser mon fils orphelin de mère (je pense lui avoir inculquer certaines bases qui pourront lui servir dans son autonomie, mais ce n’est là que mon point de vue !) et pourtant je rêve tant de le voir encore s'affirmer dans ce qu'il est et dans l'adulte qu'il est en train de devenir -une énorme bouffée d'émotions venue de très loin me secoue en pensant à lui- ; mais c’est bien plus : ce que j'ai appris et compris de la vie, des émotions, des échecs -qui compris et intégrés seront devenus des expériences- que le fait de garder tout en moi et de ne pas avoir parlé, exprimé, donné, ce qui pourrait -un temps soit peu- servir à d'autre (mais d'où me vient cette envie irrépressible de donner encore et encore même dans l’instant ultime) 
  • Mes projets : où sont-ils ?
  • Mes rêves : qu'en ai-je faits ?     Certains se sont concrétisés -souvent dans le labeur, la force et la douleur ; vieux restes de mes origines paysannes- ; mais, mes rêves les plus fous (pas si fous que cela je vous rassure!)
    que sont-ils devenus ?
    Où sont ils passés ? 

Tout défile dans ma tête en l'espace de quelques secondes, quelques minutes, entre deux piqûres, entre l'aller retour des infirmiers qui me surveillent, entre deux visites de l'interne et/ou du neurologue, entre la prise en charge du brancardier qui m'emmène au scanner, durant le scanner, le retour avec le brancardier, une infirmière, de nouveau l'interne, puis encore le neurologue.

Toutes ces interrogations se présentent à mon esprit et demandent réponse. Et les réponses viennent aussi rapidement que les questions, sommes toutes assez déroutantes et pourtant criantes de vérité.

Durant toutes ces minutes d’introspection et d’intense réflexion, simultanément une espèce d’alignement, de paix, de fraîcheur se posent.
Comme une faculté à me centrer durant toute cette période de remue-ménage hospitalier, après toutes ces élucubrations et/ou entre ces interventions hospitalières.
Seraient-ce toutes ces années de pratique qui se matérialiseraient ainsi -j'ose le croire- ou serait-ce autre chose ?
Aussi incroyable que cela puisse paraître, un sentiment de paix intérieure m'habite. 0505 Presse201508VivreOuMourirAuFildeLeau320320

Quelque chose de l'ordre d’un silence (et dans les allées venues des urgences, des ordres donnés dans les couloirs, des malades qui geignent et se plaignent, ce n'est pas facile d'avoir du silence !!!).

Quelque chose de l'ordre d’un autre espace comme si plus rien n'avait d'importance, comme si le temps s'était arrêté, suspendu.

Quelque chose de l'ordre de la Liberté s'imposait à moi :

Une sensation très particulière de ne pas être seule dans cet espace et entourée d’un sentiment d'Amour et de Douceur incomparable. Je me rends compte en écrivant ainsi dans ces termes que cela peut paraître bizarre, incongru, étonnant, loufoque, irrationnel et pourtant cela a eu lieu.

La vérité est une verrière éclatée. Chacun se précipite pour en ramasser un morceau et s’écrie : « J’ai trouvé la Vérité ! » (Sulivan 1960)

Puis un autre évènement se produit :
Quelque chose de l'ordre d’un grand nettoyage : toutes les amertumes, les rancunes, rancœurs, incompréhensions, colères, peurs se sont estompées, volatilisées, envolées, effacées, disparues.

Je sais "nous ne vivons pas dans un monde de bisounours" comme le plait à le dire régulièrement certaines de mes amies. Cela n'empêche que c'est ce que je ressens à cet instant même.
Oui là !
Tout a lâché, toutes les vielles mémoires qui auraient pu me donner des ulcères, des aigreurs, des cancers ; toutes ces veilles mémoires ont disparues ou plutôt les émotions[3] liées aux sentiments[4] se sont volatilisées.

Les faits, les images sont toujours présents à l'esprit mais les ressentis dus à ces événements sont partis, disparus, consumés. Une sensation de légèreté s'impose à moi, comme si je laissai mes sacs poubelles, mes vieilles valises là, dans le couloir de l’hôpital, prêt à être ramassé par le personnel –d’ailleurs, je me retourne et je ne les vois plus-. 

Quelle sensation étrange !

D'être là avec les soignants s'activant autour de moi et les écoutant et répondant à leurs questions.
Et simultanément dans cette sensation d'accueil, d'écoute, d’apaisement, de paix ! Comme s’il existait autre chose

Si un jour vous avez la possibilité de vivre cela, vous verrez c'est absolument magnifique et extraordinaire.

Les examens médicaux n'ayant rien révélés, je rentrais chez moi, me laissant avec la perplexité de ce que je venais de vivre tout en étant rassurée sur mon état physique et psychologique -certains examens m'étant prescrits pour affiner le diagnostic : angiographie cérébrale et IRM -

Suite à la semaine ainsi vécue, mon corps évacue par différents moyens toutes les toxines que j'ai emmagasinées depuis des mois et des années : rhumes, aphtes, sinusites, orgelets, desquamation, fatigue ... 
Alors je n'ai pas le choix ou plutôt j'ai le choix d'accepter et d'aider mon corps à aller mieux en le soignant, en le bien-traitant, en le reposant, en le bichonnant, en le bien-nourrissant, en le mettant en santé. 

Plus de corps - plus de nana !! Cà, c'est une réalité !

Pour ma part, en faisant le point sur ce que j’avais vécu, plusieurs semaines après, je me disais que cette Expérience pouvait être regardée sur plusieurs plans :

  • physique, concret, matériel : j'ai senti cette implosion dans ma tête, j'ai ressenti ces anesthésies locales du corps, j’ai mis en place des traitements : repos, nourriture, etc.
  • émotionnel, psychologique : j'ai eu peur de mourir, je me suis sentie seule, j'ai lâché des vieilles casseroles, j’ai pu en discuter, j’ai pu pleurer et évacuer ces tensions, etc. 
  • spirituel, immatériel : j’ai vécu une Expérience d'Amour et de Présence, je mets un sens sur ce qui m’est arrivé –et là, je le garde pour moi, pour l’instant-

Oui j'ai bien cru mourir ! 

Oui j'ai encore des choses à accomplir : rêves à concrétiser, apprentissages à intégrer, paysages à m'émerveiller, histoires à conter, amis à rencontrer, chants à clamer, fils à admirer, proches à entourer, élèves à accompagner, danses à mettre en mouvement, animaux à respecter, corps à soigner, activité à élaborer, à affiner, enseignants à connaître et bien d'autres choses encore. 

Non mon heure n'était pas venue
Et ce n’est pas moi qui tiens la montre.

Ce que j'ai vécu est une histoire à dormir debout pour certains, déroutante pour d'autres, farfelue pour la plupart des mortels, fantasque pour les matérialistes, étrange pour les septiques et pourtant c'est ce que j'ai vécu il y a quelques semaines. 

Aujourd'hui, je ne sais pas dire qu'elles seront les conséquences de ce qui m’est arrivé, mais je peux d'ores et déjà affirmer que la réalité n'est pas celle que l'on croit mais peut être bien plus belle lorsque l'on approche du seuil de la porte.

Citation complète de Jean Sulivan - Le bonheur des rebelles
La vérité est une immense verrière tombée à terre, éclatée en mille morceaux. Chacun se précipite, se penche, prend un éclat de verre qu’il brandit et dit "je tiens la vérité". Ils se précipitent les uns sur les autres avec leur morceau de vérité en forme d’arme. Mais non, vous ne tenez qu’un morceau de vérité. Il faudrait, patiemment, avec amour, rassembler vos morceaux, reconstituer la verrière afin que, de nouveau, elle fasse chanter la lumière. 

PS : au moment de la publication de l'article l'angiographie cérébrale a eu lieu et rien n'a été décelé. Reste l'IRM...

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[1] Accident Vasculaire Cérébral
[2] Accident Ischémique Transitoire
[3] Émotion : « trouble passager, causé par un sentiment vif » L’émotion se situe au niveau physique.
[4] Sentiment : « état affectif durable lié à certaines émotions ou représentations » Le sentiment se situe au niveau de la pensée

Ecrit par Lydie Poisson   | Publication 30 août 2015