"Tes souvenirs se voilent A l'avant du bateau
Et ce quai qui s'éloigne Vers un monde nouveau "
– Au café des délices
Depuis des années, je rêvais de pouvoir mettre les pas de la Grande Lydie (la Lydie adulte ou tout du moins ayant quelques années de plus) dans les pas de ceux de la Petite Lydie.
Il m’en fut donné l’occasion par un cadeau toutefois étonnant : Une Cabane au bord d’un Lac !
Je n’avais pas réalisé à quel point cette cabane en bois aller m’aider à retrouver cette fillette laissée dans la maison de l’enfance de ses 8 ans.
Mais avant de revoir la maison il s’agissait de la chercher et de la trouver !
Le village avait certainement grandi quelques 45 ans après !
L’orme fier de ses quelques 500 ans et de sa légende séculaire trône-t-il toujours entre l’église St Martin et l’auberge –grand lieu de rendez-vous des villageois ? je rentrais entière en son creux à l’époque ... pourrais-je y accèder une fois encore ?
La salle de classe où ma blouse d’écolière avait été tâché par l’encre qui restait au fond de l’encrier –et oui, j’ai connu les plumes pour écrire et le jeudi était jour de repos !– bref, mon école était-elle toujours au centre du village ?
Le bois derrière la villa était-il toujours là ?
La vallée de la mort –ravin que mon frère et son meilleur ami (habitant l’autre côté du bois) essayaient tant bien que mal de franchir à grand renfort de lianes ou de branches– ; allais-je pouvoir moi aussi la franchir du haut de mes années supplémentaires ?
Un pont avait-il était construit ?
La scierie derrière la maison, aux abords de la forêt de pin –l’odeur de la sciure de bois, le bruit des machines– fonctionnait-elle toujours ?
La branche du tilleul qui avait porté notre balançoire était-elle là ?
L’arbre avait-il encore grandit, forcit ou avait-il été abattu (atteint d’une maladie quelconque, par sa prestance était-il devenu trop grand, trop fort ?) ou présidait-il toujours dans la cour ?
L’arbre sous lequel le drame se produisit quelques 45 années auparavant gardait-il la mémoire de la blessure dont j’avais été victime ou était-ce uniquement moi qui gardais la trace de cette lésion qui petit à petit se refermait et guérissait !
La demeure avec ses belles avancées –une seule photo de l’époque les montre– était-elle tout simplement encore là ?
Autant de repères que j’avais et qui me permettraient peut-être de la retrouver !!
Depuis des semaines l’idée de prendre rendez-vous avec l’enfance tournait autour de ma tête. Et tel un 1er rendez-vous, l’excitation se faisait plus présente chaque jour.
Le beau nom de la villa « L’Artisan » était-il assez fort et puissant pour que la maison soit encore sur ses fondations ; aussi belle que dans mon souvenir de petite fille ?
La cabane au bord du lac me donnait la possibilité du calme, du repos, de l’introspection avant cette excursion au pays de l’enfance, au pays des souvenirs.
Et pourtant, j’y étais déjà !
La vision de cette forêt de pin, fougères au pied, les grandes lignes droites traversant les landes, le calme si particulier sous les pins, la nature, les sangliers faisant leurs courses nocturnes et s’abreuvant au bord du lac. Les sensations visuelles et auditives ouvraient mon corps à la mémoire de la Grande vers la Petite.
Mais avant de trouver la maison, une chose était sûre, l’Océan, lui, n’avait pas changé de place et je devais pouvoir facilement m’y rendre. Les panneaux indicateurs étaient là, il n’y avait plus qu’à les suivre.
L’Océan : baignade interdite au temps de mon souvenir car trop dangereux pour l’enfant que j’étais et pourtant si captivant, si tentant.
Plus je m’approchais, plus les flashs remontaient : le son d’abord
avant de le voir, je l’entendais : si puissant, si présent. Son bruit reconnaissable entre tous : le claquement sourd des rouleaux qui s’écrasent sur la plage, le vrombissement incessant assourdissant durant les cycles des vagues de plus en plus fortes.
Puis l’accalmie, brève ... qui annonce le rythme de l’océan.
Oui, je l’entends !
Et enfin je le vois !
En premier, c’est l’horizon infini et large,
les nuages à la limite de la terre et du ciel et le soleil couchant.
Puis cette écume, ce ressac, le sable mouillé.
Je vois les planches et leur hypothétique propriétaire, minuscules sur ce plan d’eau, vivant, grondant, puissant... les surfeurs essayant de prendre la vague, de l’accompagner, de faire UN avec elle.
La famille se regroupe, se parle. Ses membres attendent, ressentent l’océan, la vague. Puis l’un d’entre eux se lance et se met à glisser.
Puis un second
Puis un troisième
Un véritable ballet se dessine sous mes yeux ébahis.
Puis, tout à coup alors que rien ne laisse présager, l’odeur de l’Océan, du sable, du sel me prend par surprise : j’ai 7 ans, mes yeux se voilent, les châteaux de sable s’écroulent, ... je vis, je suis en vie, les peurs s’envolent, les interdits tombent.
Par mon nez, avant tout autre sens, mon corps se met à vibrer et les larmes coulent : je suis rentrée à la maison, je me reconnecte à l’enfance, au plaisir des pâtés de sable, à l’insouciance, aux éclats de rire, au toucher du sable, à l’odeur du sel, à l’océan, au son des rouleaux et du ressac, à la vue de cette plage immense, à l’eau, à l’océan, au goût de l’eau de l’Océan.
Je suis là, ici, présente et en Vie.
Mon odorat a gardé la mémoire de mon enfance et je suis Bien.
Plus que la maison que je retrouvais quelques jours plus tard, sans le bois (vendu par son propriétaire 5 ans auparavant), sans la vallée de la mort (lotissement construit au dessus), sans l’orme mort de son grand âge (un rejet ayant été planté en lieu et place de son aïeul) mais avec le Tilleul, l’école du village (transformée en bibliothèque), l’église,
c’est la reconnexion avec l’Océan qui m’a montré la Petite Lydie, qui m’a ouvert les portes de l’enfance, qui m’a exprimé la puissance et le sourire de la Vie.
Ainsi, je passais quelques jours dans le pays des souvenirs et de l’enfance pour contacter et récupérer les petits bouts de la Petite laissés sur place en son temps afin de bien les intégrer dans mon corps, dans mon ressenti, dans ma mémoire, dans ma vie de Grande.
Les souvenirs –bons ou mauvais–, faisant partie de notre mémoire, font partie inhérente de notre vie, de notre construction. Ils sont issus d’une sensation, d’une impression, d’un ressenti d’évènements passés. S’ils sont mauvais, ils nous contraindront à les oublier ou à nous scinder en deux –mais oublie-t-on vraiment les souvenirs ? Ne se cachent-ils pas plutôt !
S’ils sont bons, ils seront de précieux piliers pour nous construire et être en adéquation avec notre présent.
Tes souvenirs se voilent
A l'avant du bateau
Et ce quai qui s'éloigne
Vers un monde nouveau
Une vie qui s'arrête
Pour un jour qui commence
C'est peut-être une chance
Au café des délices – Patrick Bruel
Et vous à quels sont vos souvenirs d’enfance ?
Merci à Eliane pour l’autorisation invisible qu’elle me donna en m’offrant quelques jours dans son Paradis !
Merci à Sylvie qui m’accompagna dans ce périple avec sa discrétion et sa compréhension naturelle des situations !
Ecrit par Lydie Poisson | Publication 09 septembre 2016- L'Océan