"Les affaires de l’Etat sont faciles à trancher, les affaires de famille sont difficiles à tirer au clair.”  Proverbe chinois 

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Le tri est une drôle d’aventure

En juillet dernier, alors que je faisais le tri du garage de mes parents, des certitudes me sautèrent au visage ; je n’avais pas imaginé que faire cette expérience allait m’aider à faire le tri d’une part de moi-même et que je serais ainsi forcée à regarder également une époque de mon histoire familiale ! Pourtant adepte de ce travail, il n’en reste pas moins vrai que ce fut une surprise.

Je l’imaginais (ce tri) laborieux - c’est pour cela entre autres que j’avais choisi cette première semaine de juillet ; il devrait faire beau et les congés se profilaient 3 semaines plus tard. Il fut chaotique, violent, épuisant physiquement, psychiquement et émotionnellement.

J’avais prévu les sacs poubelles pour la décharge, les cartons pour l’association qui récupèrerait ce qui était en bon état, un bac pour le vide-garage prévu début août et un bac prévu pour ce que maman voulait garder. Bref, ordonnée, préparée, efficace et sûre de moi -comme souvent- ; bref, parfaite !

Donc je m’y attelais cette première semaine de juillet ; début des vacances pour beaucoup d’entre nous, beau temps assuré afin d’étaler les affaires dehors, no limite de temps afin de prendre le temps.

Nous serions trois (maman, mon frère et moi-même) à entreprendre ce travail mis depuis quelques années de côté et si souvent évoqué. Papa est mort en 2017, la génération au-dessus depuis plus de 20 ans et ce garage était rempli de « choses » à trier, dégager, évacuer appartenant essentiellement à cette 3eme génération !

Maman n’étant plus dans la force de l’âge se chargerait de l’intendance càd préparer les repas. Mon frère fort et costaud de transporter les choses lourdes et de piloter le moyen de transport adéquat (voiture ou camion) en fonction de la destination (déchèterie ou association locale). Moi-même me chargeant de faire le tri, le nettoyage, les allers-retours vers l’un ou l’autre pour entendre les réponses : oui à la poubelle, non on garde, oui on donne et non décidément non « je ne veux pas le jeter ».
Simple, précis, efficace …

Dans ce garage : quelques petits meubles, beaucoup d’étagères, de la vaisselle, des livres, de vieux outils, des disques, des photos, des journaux, de vieux cahiers, des cartons de cartons, des toiles d’araignées accompagnant les araignées, des livres récompensant un premier prix, des livres de messe, des cageots de papiers et de journaux. Des choses en bon état, cassées, défraîchies, abîmées, inutilisables et pourtant à garder ! Bref, dans ce capharnaüm de cartons et de souvenirs que garder ?

Des évidences se profilaient : le cassé, le pourri à la déchèterie ; le superflu à l’association ; et le reste … trou noir

Mais qu’en était-il quand les souvenirs de cette grand-tante me sautaient au visage ? Quand je la voyais à côté de ce livre ; quand je lisais le nom de ma grand-mère noté sur le livre de récompense qu’elle avait obtenu pour un prix d’excellence en grammaire en 1929 ; quand je retrouvais des images de communion dans les missels utilisés par cette génération ; quand je retrouvais une photo de mon grand-père (mort avant la naissance de sa fille) dans le livre de messe que maman utilisait quand elle était enfant ; quand j’ouvrais un carton rempli de lettres de mon père.

Une claque dans la gue

Alors que mon frère mettait tout, oui TOUT allègrement dans le camion destiné à la décharge « Ouais ! Plus besoin de tout çà - comme ça se sera fait - etc. » initiant ainsi le départ de notre mère, je me retrouvais par terre avec des valises familiales que j’ouvrais et des souvenirs qui me sautaient au visage ; de toutes ces vies ; des personnes qu’elles furent ; des enfants, des écoliers, des étudiants et des employés qu’elles étaient. Des objets qu’elles avaient eus entre les mains ; des médailles reçues de leur implication pendant la guerre ; j’avais là, devant moi des parties de vies tangibles de leur existence ! Qu’en faire ?

Nous savons bien que nous avons tous une relation particulière aux choses, aux événements, aux personnes. Quand elles sont vivantes, on peut redonner ce qui leur appartient ; et quand elles sont mortes et que nous sommes détenteurs de leurs biens matériels, qu’en faire ?

La vie était pleine de malice puisque durant cette même année -2023- je faisais aussi ce travail de rangement de mon propre espace -espace concret maison et cabinet, mais également espace intérieur- ; un peu comme lorsque l’on déménage et que l’on a besoin d’avoir l’essentiel : voyagez léger disent ceux qui font le chemin de Compostelle ! C’était l’objectif que je mettais fixé : plus facile à faire pour soi que pour les autres. Je m’en rendais compte en ces instants.

Le premier soir, je n’avais qu’une envie : fuir
Le second jour, réveillée aux aurores par le frère qui voulait que « çà » avance, je me remettais à la tâche : je n’allais pas abandonner tout de même !
Le troisième jour, le rythme était posé  
Le quatrième jour, le ménage du garage était fini
Le cinquième jour, je préparai la liste des objets destinés au vide-greniers.

Au bout de cette semaine de tri, une évidence se dessinait là : on ne peut présager de ce qui va arriver ; quels souvenirs je souhaite emporter avec moi (concret ou affectif) ? Qu’est-ce que je désire laisser à la génération suivante ? le moins de casseroles possible, et en même temps quelque chose qui puisse servir de support pour se remémorer l’histoire (car l’histoire construit, parfois mal, mais elle construit).0505 202312LeTriLPCoquelicot20230501640427

Notre monde est à la dématérialisation et paradoxalement à l’encombrement de nos cerveaux : faire des fiches, des listes, des applications dans les portables pour ne pas oublier ! Mais oublier quoi ? Les moments passés ensemble, les fous rires et les rigolades, les colères et les engueulades, l’amitié et les moments de tendresses ! c’est bien tout cela qui nous fait grandir et nous construit. Alors finalement qu’est-ce qui me nourrit le plus ? De quoi voulais-je me sustenter encore ?

Ces moments sont marqués dans ma tête et dans mon corps : souvenez-vous d’un moment agréable avec un proche et tout de suite l’émotion est là, votre corps vous rappelle que c’est inscrit. Retrouvez une vieille photo et immédiatement les personnages de celle-ci, si vous les avez connus, sont autour de vous. Parfois, il faut juste un support et tout revient. Pas besoin de garder un garage entier de souvenirs !

Finalement, cette semaine de nettoyage et de tri m’a permis de regarder les relations que j’ai eues avec ces membres de ma famille -les morts- et que j’ai -les vivants-. Quels types de relations ai-je envie de mettre en place, de faire évoluer ou d’arrêter ? Parfois, le rangement nous fait prendre conscience de ce qui est important et ce temps donné peut être ainsi utilisé pour avancer sur notre chemin.

J’arrivais avec un garage rempli. Je repartais avec ces 2 questions !

Et vous, quelles sont les réponses à ces 2 questions : comment vous nourrissez-vous ? Que souhaitez-vous transmettre ?

 

Écrit par Lydie POISSON  | Publication : 18 décembre 2023